1.1 Pourquoi un développement tardif ?
Le développement du RAROC dans les institutions financières a
profondément souffert des particularités du système bancaire
français.
- En France, l'actionnaire principal était bien souvent
public et il faut reconnaître que l'Etat n'a jamais
été très exigeant en terme de ROE (Return on Equity) ;
- Le secteur mutualiste (coopératif et Caisses d'Epargne)
était très décentralisé et disposait de fonds
propres abondants aux contraintes de rémunération faible.
De fait, seuls les réseaux comme Paribas, le CCF (RAPM) ou la
Société Générale ("RCM" : Risque Courant Moyen)
avaient un intérêt immédiat à développer la méthodologie
RAROC. Par ailleurs, avec la montée des risques sur les PME,
l'approche RAROC s'est avérée d'autant plus
intéressante que les risques et les volumes sont importants
sur le marché des entreprises.
Paribas (grandes entreprises) et Crédit Lyonnais
(PME de 5 à 500 MF) furent les pionniers en 1995, suivis par
la Société Générale en 1997 et la BNP en 1998/99.
1.2 La réglementation
- Un cadre réglementaire et des instances de
contrôle de plus en plus contraignants : surveillance des taux
anormalement bas (recommandation de M. Trichet, juillet 1995) et
mise en place au 1er janvier 1996 de la C.A.D. (Capital
Adequacy Directive, instruction 95-03 de la commission bancaire) ;
- Constats et préconisations du Conseil National du
Crédit (septembre 1995) en matière de provisionnement
ex-ante, de mise en place d'outils de mesure des risque et de
tarification du crédit.
A l'exception du provisionnement ex-ante, toutes ces
recommandations sont reprises dans le règlement 97-02 du
comité de Réglementation
Bancaire et Financière. En vigueur depuis le 1er
octobre 1997, le règlement 97-02 encourage fortement la mise en place d'outils
de type RAROC et la publication du Livre Blanc de la Commission
Bancaire (novembre 1998) confirme cette volonté.
2.1 Le RAROC
Le RAROC exprime le taux de rendement des fonds propres
économiques. C'est le ratio entre la marge nette
prévisionnelle après déduction des pertes moyennes
anticipées et les fonds propres nécessaires pour couvrir
un pourcentage des pertes exceptionnelles.
Les différents types de RaRoc qui existent se
différencient principalement par la date et le
périmètre des calculs :
- RAROC à l'origine : le calcul se fait à l'octroi
d'un crédit et prend en compte tous les éléments
jusqu'à la fin de l'opération. C'est probablement le plus
pertinent en terme de décision de crédit.
- RAROC résiduel : le calcul prend en compte
immédiatement les changements des caractéristiques des
clients (notation), des crédits (remboursement anticipé
partiel, ... ) et des garanties. Mais sa volatilité trop
importante d'un jour sur l'autre en fonction des
événements de la vie d'un crédit (frais de dossier,
commission flat, amortissement, ... ) ne permet pas d'adopter
une stratégie client.
- RAROC annuel : le calcul ne prend en compte que les
éléments contenus dans une année civile. Il correspond
à l'exercice budgétaire et donne la possibilité
d'adopter une stratégie, de fixer des objectifs et de pouvoir
mesurer les résultats à la fin de la période. (assez
instable).
- RAROC complet : le calcul prend en compte, à une
date donnée, tous les éléments des engagements en
cours, de la date d'origine à la date d'échéance de
chaque concours. Plus stable et plus exhaustif (adjonction des
aspects hors crédit : flux, services, conseils, ... ), il
permet d'adopter une stratégie pour un client, un portefeuille
ou une activité.
Le choix parmi ces différents RaRoc se fait
principalement en fonction de l'utilisateur final et de ses
attentes.
2.2 La notion de perte
Avant toute chose, il convient de définir les différents
types de pertes auxquels nous allons être confrontés.
- La perte moyenne est définie comme la perte
statistique moyenne (espérance mathématique de perte)
quasi certaine sur un portefeuille diversifié et pour un cycle
économique complet.
- La perte maximale est une perte supplémentaire qui
ne peut être dépassée que dans un pourcentage faible
de cas représentant le seuil de tolérance.
- La perte exceptionnelle a une probabilité
d'occurrence quasi nulle mais elle peut être très
importante et donc ne pas être couverte par les fonds propres
économiques. On l'appelle également "risque de ruine".
2.3 Le risque de crédit
Le risque de crédit se définit comme le risque de perte
auquel une banque est exposée en cas de détérioration
ou de défaillance de la contrepartie. Il résulte de la
combinaison de trois facteurs : le risque de Contrepartie, le
risque d'Exposition et le risque de Récupération
(modèle dit CER).
- Le risque de CONTREPARTIE est caractérisé par la
probabilité de défaillance du client. Cette dernière
est relative à deux facteurs que sont la qualité du
débiteur (classe de risque ou notation) et la maturité du
crédit.
- Le risque d'EXPOSITION est l'évaluation du montant
des engagements au jour de la défaillance. Ce montant
dépend du type d'engagement accordé (facilité de
caisse, prêt moyen terme, caution, opérations de
marchés, ... ), du niveau prévisionnel moyen
d'utilisation, de la forme juridique de l'engagement (confirmé
ou non, ... ), de la durée de l'engagement et de sa forme
d'amortissement (linéaire, dégressif, in fine, ... ).
Chaque type de crédit est ensuite affecté d'un coefficient
de correspondance (pondération) défini par rapport à
une ligne de caisse qui représente le risque d'exposition
maximal. De même, à chaque catégorie de crédit
correspond des caractéristiques en terme d'exposition
(durée, amortissement) et de garantie. Ainsi, l'escompte
bénéficie d'une garantie implicite forte liée à
l'estimation de la valeur des effets remis, tandis que celle du
crédit-bail est associée à une estimation de la valeur
de revente du bien financé.
- Le risque de RECUPERATION est, après coûts de
récupération et de portage, la valeur attendue de la
réalisation des garanties (sûretés réelles et
personnelles) et de la liquidation des actifs non gagés de la
contrepartie.
La valorisation des garanties détenues peut agir
soit sur le niveau de l'exposition, soit sur le niveau du taux de
récupération. Après quoi, on peut en déduire une formule
multiplicative du risque de crédit.
RISQUE = PD × (EXPOSITION-GARANTIES) × (TAUX DE PERTE) |
|
Ce résultat correspond au coût du risque de
crédit (cf. Article 20 du règlement 97-02) appelé
également perte moyenne anticipée, ou prime de risque par
assimilation aux concepts du secteur de l'assurance.
2.4 Les indicateurs RAROC
2.4.1 La prime de risque (ou perte moyenne)
La prime de risque se matérialise par le produit simple des
trois facteurs précédemment définis : la
probabilité de défaillance de la contrepartie entre
aujourd'hui et la maturité de l'opération, l'exposition
nette de toutes les garanties associées à l'opération
et enfin le taux de perte estimé en fonction de
l'environnement juridique (droit du créancier).
EL = PD × (EAD-G) × LGD(unsecured) |
|
Dans la pratique, le risque récurrent doit être
couvert intégralement par la marge nette facturée au
client. Nous entendons par marge nette, la marge brute de
l'opération à laquelle ont été retranchés les
différents coûts tels que les coûts de structure et
les coûts de la liquidité. Dans le cas où la marge est
insuffisante, l'opération s'avèrera être (en moyenne)
destructrice de valeur pour la banque.
Comme nous le verrons plus tard, cette notion de perte
est utilisée de manière opérationnelle en risk
management.
Remarque : Il est important de comprendre que la
prime de risque ne caractérise aucun risque au sens
financier du terme. En effet, plaçons nous dans un univers
où il n'y a aucune volatilité des pertes, la perte moyenne
est connue avec certitude et sera alors systématiquement
absorbée par la marge. La pérennité de l'institution
financière n'est jamais menacée et il est donc plus approprié
de parler de coût de la perte que de prime de risque.
2.4.2 Le capital économique
La notion de capital économique doit être directement
rapprochée de la notion de fonds propres pour une banque. Il
s'agit d'évaluer dans quelle mesure l'opération
considérée est susceptible de mettre en péril
l'établissement. Etant donné les contraintes en terme de
limites de concentration que les banques s'imposent, il est
très difficile pour une opération de menacer la survie
d'un établissement (thanks to diversification). En revanche,
en période de stress sur l'activité de crédit, il est
important de mesurer la contribution de chacune des opérations
présentes dans le portefeuille bancaire.
Comme pour la prime de risque, nous retrouvons dans la
formule du capital économique une exposition nette, un taux de
perte et une probabilité de défaillance à
maturité. Deux différences notables cependants :
- La probabilité de défaillance apparaît au
coté d'un coefficient de corrélation moyenne du
portefeuille r.
Ce terme Ör×PD(1-PD) bien connu des statisticiens doit être
interprété comme un écart-type des pertes potentielles
sous une hypothèse de normalité de la distribution des
pertes.
- Le terme correctif K permet ensuite de corriger l'effet
non conservateur de l'hypothèse précédente en ramenant
la queue de distribution à son épaisseur empirique. De
fait, plus ce terme sera grand, plus la contribution en capital
économique (ou consommation de fonds propres) sera grande.
| |
|
(EAD-G) × LGD(unsecured) × |
| |
| |
|
| |
|
Remarque : Il est assez simple de créer une
bijection entre la valeur du coefficient K et les objectifs de
rating que la banque s'impose. En effet, plus la valeur du
coefficient sera conservatrice, plus les fonds mis en regard du
portefeuille bancaire seront importants et donc meilleur sera le
rating de la banque in fine.
2.4.3 Le RAROC
Dans sa définition la plus large, le RAROC est un indicateur
synthétique permettant de mettre en regard la rentabilité
réelle d'une opération avec le risque qui lui est
associé. Nous retrouvons ainsi les notions classiques de
frontières efficientes sur une analyse en
rentabilité/risque.
La formule que nous avons décidé de retenir
possède la particularité de considérer comme point
d'attache à l'analyse Raroc, le taux sans risque des
obligations d'Etat ayant une maturité équivalente à la
duration du portefeuille bancaire. Ce choix nous conduit à
supposer que les fonds propres de la banque sont placés dans
des obligations d'Etat. En pratique, le lecteur comprendra que cet
objectif de rentabilité est arbitraire car il ne
représente aucunement les objectifs demandés par les
actionnaires. Ce seuil a toutefois l'avantage d'indiquer
clairement les opérations qui détruisent de la valeur.
Enfin, s'il n'a pas été fait mention jusqu'ici
des aspects fiscaux, cela ne signifie pas que l'analyse Raroc s'en
dédouane. La rentabilité des fonds propres, qu'elle soit
avant ou après impôt, doit être calculée de
façon cohérente.
RAROC = |
UL
|
+ TSR(taux sans risque) |
|
Remarque : Au niveau du portefeuille bancaire, il
serait hasardeux d'effectuer un lien direct entre les objectifs de
ROE de la banque et son Raroc global. Il faut garder à
l'esprit que le Raroc n'a pas vocation à traiter le risque
opérationnel par exemple, alors que le ROE est un indicateur
synthétique de toutes les activités, y compris
l'activité de crédit.
2.5 Simulations avec deux clients
Comme rien n'est jamais plus parlant qu'un exemple, nous
présentons dans le tableau ci-dessous une approche comparative
entre les méthodes classiques d'analyse et les méthodes de
type Raroc. Nous supposons dans la suite que le client A est bien
mieux noté que le client B et que les marges demandées
sont a priori ajustées pour refléter cette
différence de rating. Du reste, comme les montants
d'engagements sont identiques, nous pouvons considérés que
les différents coûts directs sont égaux.
Dans l'approche traditionnelle, si la rentabilité
est correctement calculée, la notion de risque récurrent
(ou coût du risque) n'existe pas. Implicitement, le
résultat courant considère que ce risque a déjà
été pris en compte par la différence de marge entre
les deux clients. Par ailleurs, l'approche Cooke ne prenant pas en
compte les caractéristiques de la contrepartie, le risque et
donc la consommation de fonds propres sont identiques entre le
client A et le client B. En conclusion, nous trouvons une
opération avec le client B qui s'avère être bien plus
rentable que celle avec le client A. C'est un peu ce que l'on
pourrait appeler la "dictature de la rentabilité".
Dans une approche Raroc, en revanche, nous estimons
statistiquement le risque récurrent en fonction des
caractériqtiques de la contrepartie. Cela nous permet d'ores
et déjà de voir que la marge demandée au client B
n'est pas en adéquation avec les coûts inhérents à
l'opération. Dans une deuxième étape, l'analyse économique
du risque présente une consommation de fonds propres 5 fois
plus importante pour le client B. Au final, le Raroc met en
exergue la profitabilité du client A et le danger d'une sous
tarification du client B. C'est tout simplement la fin de la
dictature.
Remarque : Le lecteur aura bien compris que le
Raroc n'est qu'un outil d'aide à la décision et à la
gestion. Il est excessivement dépendant des données
fournis en input et des différents phénomènes
modélisés. Il ne saurait donc avoir le dernier mot quant
à une décision d'octroi de crédit. Bien des raisons en
effet pourraient militer pour la mise en place d'une opération
intrinsèquement non rentable. La première tient à la
concurrence exacerbée qui existe sur l'activité du
crédit. S'il est vrai que les récentes règles
prudentielles ont clarifiées les règles de la concurrence
internationale, il est parfois nécessaire voire vital de faire
preuve d'une certaine agressivité commerciale. Par ailleurs,
il peut arriver qu'une banque ait un intérêt à
conserver une relation car elle lui permet de récupérer
d'énormes frais de gestion par ailleurs (paiement des
salaires, émissions obligataires, ...).
2.6 Transactionnel versus Gestion
Si les approches transactionnelle et gestion du Raroc peuvent
sembler antagonistes, elles sont en réalité
complémentaires. Le mode transactionnel, également
appelé calcul à l'origination, est directement associé
à la demande de crédit. Il s'agit d'estimer de manière
ex-ante la profitabilité d'une opération. De fait, les
données utilisées seront des données
prévisionnelles estimées par le secteur commercial aux vus
de sa connaissance et de son analyse du client. En terme
d'analyse, il peut être tout aussi intéressant d'analyser
une opération individuellement, que cette même opération
au sein de la relation client.
En complément, l'utilisation du Raroc comme outil de
gestion permet de réaliser un reporting régulier des
niveaux de risques et donc de meilleurs suivi et contrôle des
risques. L'analyse sera réalisé de façon ex-post sur
des données effectivement constatées et probablement
récupérées d'un système d'information engagement.
Afin de fixer les idées, le tableau reprend
les différentes caractéristiques exposées.
3.1 Un formidable outil commercial ...
Sur le plan commercial, de nombreuses banques utilisent
aujourd'hui des outils basés sur une méthodologie de type
Raroc. La mise en oeuvre est effective à plusieurs niveaux.
Sur un plan macro, l'action commerciale peut, après avoir
réaliser une segmentation de la clientelle en portefeuille,
élaborer et proposer une offre personnalisée en fonction
de la profitabilité du client. Par ailleurs, au niveau de la
relation directe avec le client, le commercial qui a à sa
disposition un outil de tarification de type Raroc calibré
pour prendre en compte l'environnement concurrenciel, pourra
proposer dans des délais relativement courts une offre
personnalisée à son client.
3.2 ... mais aussi de maîtrise des risques
Du point de vue du risk management, un outil de type Raroc
nécessite que l'on porte une très grande attention aux
différentes données utilisées. En effet, les
résultats étant excessivement sensibles à certaines
données, il est impératif que le risk management ait un
dispositif de suivi du risque client efficace (disclosure
process). Il ne faudrait pas par exemple qu' un client soit
noté AA dans les sytèmes alors que sa note s'est
dégradée à A-.
Toutefois, sous hypothèse de véracité des
données dans les systèmes, il est possible de
générer avec un outil Raroc toute une série de
reportings risque et ainsi de gérer des limites de
concentration ou de consommations en coût du risque.
3.3 Un outil de management
Les reportings générés ci-dessus peuvent également
être exploités lors des procédures budgétaires. On
peut en effet allouer les budgets en fonction de la performance
économique des différents départements ou définir
leurs objectifs (donc leurs bonus) sur des critères Raroc.
3.4 Le provisionnement ex ante
La mise en oeuvre d'un provisionnement ex ante est un sujet
très sensible en raison de ses implications fiscales. Il
s'agit de provisionner sur des bases statistiques le montant des
pertes estimées au début de la période, le
provisionnement actuel étant réalisé de façon
ex post. Or les provisions connaissent un traitement fiscal
spécifique jusqu'à un certain seuil et les banques ne sont
pas prêtes à dépasser ces seuils sans contrepartie. De
fait, le sujet est aujourd'hui au point mort.
Au niveau d'une approche Raroc, l'indicateur de perte
moyenne calculé sur le portefeuille global donne une bonne
estimation du montant qu'il faudrait provisionner de façon
ex ante. De fait, si en période de récession
économique, cet indicateur fournit des charges en risque
estimées bien plus fortes que l'année précédente,
il peut s'avérer important d'arbitrer entre fiscalité et
couverture anticipée de la charge en risque.
3.5 La gestion de portefeuille
L'objet de la gestion de portefeuille est d'améliorer la
qualité globale du portefeuille bancaire via des techniques
d'assurance ou de diversification. Pour ce faire, il est
nécessaire de posséder, en plus d'un outil de type Raroc,
d'un bon modèle de corrélation qui permette de mesurer
l'impact d'une politique de diversification sur le portefeuille.
Il est d'ores et déjà possible d'obtenir des outils Raroc
avec des modèles de corrélations (KMV et son modèle
factoriel par exemple). En revanche, il est très difficile de
calibrer ses propres modèles.
Concernant les techniques d'assurance, nous reviendrons
plus longuement sur les produits dérivés de crédit
plus tard (cf. dossier "Credit derivatives").